Eight is a Gate
“The old men know
when an old man dies.”
— Ogden Nash
“Heaven is a state,
a sort of metaphysical state.”
— John O’Hara, Hope of Heaven, 1938
But in a larger sense…
Mais il y a un autre sens dans la dédicace que je trouve plus profond encore. Il s’agit de se dédier soi-même. Le terme que l’on traduit par dédicace est en japonais ekô, littéralement “se tourner vers”. Il est composé de deux idéogrammes, e qui signifie “tourner le dos, se tourner, revenir en arrière” et kô, “faire face, s’adresser à”.
Dans l’école Tendai, on explique que ce terme possède trois sens:
– tourner le dos (e) aux phénomènes et faire face (kô) au principe;
– tourner le dos (e) au soi et faire face (kô) aux autres;
– tourner le dos (e) aux causes et faire face (kô) aux effets.
On pourrait dire regarder l’essentiel, regarder autrui et regarder le futur. Le terme évoque un retournement. Il s’agit d’aller à rebours de nos fonctionnements habituels, de bouleverser nos attitudes, se détourner de l’égocentrisme pour aller dans le sens de l’ouverture, ne plus se fourvoyer dans l’erreur mais s’ouvrir à la clarté.
Ekô a bien dans les textes bouddhistes un double sens, c’est à la fois dédier quelque chose comme la récitation d’un texte mais également se dédier soi-même. Dans cette deuxième attitude, c’est soi-même, tout entier, corps et esprit, qui est l’objet de la dédicace. Plus qu’on donne, on se donne. On trouve les deux sens chez Dôgen qui n’ignore pas le “transfert des mérites” mais qui sait que ekô se confond avec la voie de l’éveil. Il y a par exemple ce passage dans le Shôbôgenzô Zuimonki:
“Dans le bouddhisme, il y a ceux qui sont foncièrement doués d’amour et de compassion, de connaissance et de sagesse. Pour peu qu’ils étudient, ceux qui en sont dépourvus les réaliseront. Ils n’ont qu’à abandonner le corps et l’esprit, se dédier (ekô) dans le grand océan du bouddhisme, se reposer sur les enseignements du bouddhisme et ne pas rester dans les préjugés personnels.”
[Buppô ni wa, jihi chie mo yori sonawaru hito mo ari. Tatoi naki hito mo gaku sureba uru nari. Tada shinjin o tomoni hôge shite, buppô no daikai ni ekô shite, buppô no kyô ni makasete, shikiyoku o son zuru koto nakare.]
(Shôbôgenzô zuimonki, Edition populaire, cinquième cahier, première causerie)
Le français ne peut véritablement rendre la subtilité du choix des mots de Dôgen qui utilise des figures de style typiquement chinoises comme le chiasme, l’opposition et l’appariement. Il emploie des verbes d’état d’une part : se reposer, rester, de l’autre des verbes d’action, abandonner (hôge su, lit. “laisser choir”), se dédier (ekô su, lit. “se tourner vers”, qui a presque ici le sens de “se jeter”). Réaliser l’amour, la compassion, la connaissance et la sagesse nécessite une transformation, une conversion, un saut dans l’ailleurs. Ce dynamisme permet de quitter le soi égocentré pour entrer dans la dimension de l’éveil, ce que Dôgen appelle ici le bouddhisme.
Ce retournement, ekô, possède une double dimension, à la fois interne et externe. D’un point de vue intérieur, nous nous dédions à l’éveil, d’un point de vue extérieur, nous nous dédions aux autres. Mais l’intérieur et l’extérieur sont comme les deux faces d’une même feuille de papier.